De la borgnesse comme sex-symbol

Publié le par Morgan

Qui n'a pas imaginé un jour de chevaucher avec Jeanne d'Arc en armure ? ou n'a pas conçu de vérifier de visu si les colliers de Marie Antoinette flattaient agréablement sa gorge royale ? L'art a cela d'extraordinaire qu'il traverse le temps. Quel plaisir redoublé quand il sert la mémoire d'une figure historique et légendaire ! Pour nos cervelles saturées d'images, clips et jeux vidéos, un support de choix se prête alors à nos rêveries post-adolescentes.

La belle est venue, Nefertiti (1370 - 1334 avant Jésus-Christ), est la grande épouse royale du non moins célèbre Akhénaton. Avec eux s'inaugure l'époque amarnienne, fertile renaissance spirituelle dont la moindre des curiosités ne fut pas l'adoration du disque solaire, Aton, prémices à nos religions monothéistes. L'art prend une forme révolutionnaire, visages et corps déformés. C'est presque de la caricature, une stylisation à outrance pour mieux approcher au mystère du Divin. Une parenthèse audacieuse qui ne survivra guère à ses initiateurs. Le buste peint de Nefertiti découvert en 1912 à Tell el-Amarna n'appartient pas à cette école. L'oeuvre est classique mais a ce supplément d'âme qui en rendent les traits inoubliables. Approchons-nous plus près (et avec respect) de ce visage de femme de plus de trois millénaires. Du menton tendu en avant d'un cou gracile jusqu'nefertiti-bustaux pommettes haut placées, l'impression générale est la majesté et la couronne attribut du pouvoir n'y ajoute rien. La plénitude est davantage celle d'une femme que celle d'une mère. La féminité est féline. La peau attend la caresse de la main. Les couleurs de la vie sont habilement représentées dans le gonflement des lèvres et le dessin des narines. Les traits sont réguliers, symétriques à l'exception de cet oeil manquant dont on ne retrouva jamais le contenu orbitaire sur le chantier de fouilles. Ce défaut dans l'ouvrage, s'il n'est pas voulu au départ par l'artiste, est comme la poussière qui titille l'huître, l'imperfection dont naît le sublime. Par ailleurs, la sculpture distille un délicat parfum de mystère : ces yeux fendus sont-ils bridés ? les plis à la commissure des lèvres et les cernes sous les yeux indiquent-ils l'avancée sereine dans l'âge ? La reine semble défier le temps. C'est d'autant plus émouvant que la trace de Nefertiti disparaît brusquement à la mort de son époux.

Bien sûr, on a dit du buste qu'il était un faux, puis cela a été aussi vite démenti. Toujours est-il qu'il nous paraît tout aussi nécessaire et absurdement moderne que la Vénus de Brassempouy, oeuvre paléolithique finement stylisée. A se demander si l'Humanité, à n'importe quelle phase de son développement, ne révèle son âme véritable et immortelle que dans la création du beau idéalisé.

Publié dans Histoire

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