Des secrets de famille en chambre close
Paru en 1908, le Mystère de la chambre jaune est un roman de déduction à la poésie légère qu'on peut découvrir enfant et relire avec la même jouissance des années plus tard. Bien sûr, John Dickson Carr (1906 - 1977) a examiné depuis les années 30 toutes les combinaisons possibles d'énigmes en chambre close - ce lieu d'intimité qu'on voudrait inviolable - jusqu'à la plus tirée par les cheveux mais le roman de Gaston Leroux a la saveur des toutes premières fois.
Le presque normand Gaston Leroux (1868 - 1927) a été chroniqueur au Matin et même grand reporter en Russie avant de se lancer dans l'écriture de roman. Son style est celui du XIXème siècle, d'une efficacité inoxydable, très structuré, pour tout dire journalistique. Dans le Mystère de la chambre jaune, le romancier se montre attiré par les histoires épouvantables teintées de surréalisme, de romantisme aussi à travers les évocations de la vie personnelle du jeune héros Joseph Rouletabille qui s'anime alors pour la première fois. Dès le premier titre de chapitre : Où l'on commence à ne pas comprendre et tirant jusqu'au bout le fil de sa pelote, il tient en haleine le lecteur qui se perd dans les dédales du raisonnement. Mathilde Stangerson, fille d'un savant réputé, est retrouvée évanouie dans la chambre jaune au château du Glandier. Qui l'a agressée et comment ? Toutes les issues sont fermées de l'intérieur. Le propre père de la victime est devant la porte au moment où Mathilde se met à hurler. Personne n'a pu sortir. S'invitant sur place, Rouletabille est une sorte d'aventurier fureteur à la Tintin dont l'intelligence se confronte à un non moins fameux compétiteur, le détective Frédéric Larsan. Usurpations d'identité et scènes invraisemblables s'éclairent à la lumière de la logique comme lorsque l'agresseur cerné par ses poursuivants se volatilise en plein couloir du château. Il y a
dans les péripéties rocambolesques quelquechose de la série Arsène Lupin de Maurice Leblanc qui lui est contemporaine. Gaston Leroux s'inscrit encore dans le courant du roman-feuilleton très en vogue en ce début de siècle. Il ne faut pas oublier que ce policier, fécond en rebondissements, est à l'origine destiné au public des lecteurs de journaux.
Leroux creusera la veine du roman à énigmes en y mêlant de subtiles doses d'horreur dans le Parfum de la dame en noir (quelle trouvaille ce titre quand même !) où l'on retrouve les protagonistes du Mystère de la chambre jaune et plus fermement encore dans le Fantôme de l'Opéra. Gaston Leroux fait des émules : d'Agatha Christie qui étend le champ-clos à une cabine de train, un avion ou une île de milliardaire jusqu'au film de et avec Denis Podalydès (2003) ou la bande-dessinée adaptée par André-Paul Duchâteau (1990), ces deux derniers très fidèles à l'univers trépidant du romancier. Quoi de plus fascinant qu'un crime commis en huis-clos ? Le lecteur aime toujours à se laisser draper dans les méandres de la raison quand il sait pertinemment que la solution proposée en fin de course le délivrera de son insatisfaction (et angoisse) passagère !